Le port d’un pull tricoté en France… ça compte ? : le critère environnemental agite les marchés juridiques

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« C’est parti pour 25 minutes de cardio pour aller au boulot ok ! Si jamais tu as un coup de mou, tu penses aux koalas »
Coach en écologie - Broute


Le Plan national pour les achats durables (PNAD) commencerait à porter ses fruits, deux ans après son adoption (relire "[Interview] Thomas Lesueur : «L'achat durable ne doit plus être la préoccupation des seuls services commande publique : c'est un sujet politique»"). Les acheteurs publics joueraient de plus en plus le jeu, en insérant dans leurs marchés des critères environnementaux, nous glissent certains avocats... qui observent ce changement aussi en tant qu’opérateur lorsqu’ils répondent à des consultations de marchés juridiques.
 

Une généralisation critiquée du critère environnemental


Tant que les dispositions de la loi "Climat & Résilience" sur les critères environnementaux ne sont pas entrés en vigueur, les pouvoirs adjudicateurs ne sont pas encore contraints de les intégrer (relire"Critère environnemental : ce n’est pas encore une obligation !"), même si les chambres régionales des comptes, à l’instar du Gouvernement, les poussent à réfléchir dans ce sens dès à présent (relire"Loi "Climat et Résilience" : et si c’était pour maintenant ?").

Mais les obliger à prévoir des critères de cette nature sans tenir compte de l’objet du contrat a tendance à faire grincer des dents une partie de la profession d’avocats.
« Qu’écrire à ce sujet dans le cadre d’un marché de prestation intellectuelle ? Et que peut attendre un acheteur public sur ce point ? Afin de montrer que nous y avons répondu, nous invoquons alors des mesures bateaux : la diminution de la consommation de papier, la préférence pour la visio-conférence afin de limiter les déplacements, l’écomobilité, la mise en place du tri-sélectif et de geste visant à réduire la consommation d’énergie dans nos bureaux », nous disent-ils (relire " Un critère "RSE et Développement durable" ne doit pas être un simple habillage !").

Il est vrai que pour certains marchés, dont l’impact environnemental est faible au cours de l’exécution, il n’est pas évident pour un candidat de faire valoir sa plus-value à ce titre (relire "Un critère développement durable… si le marché s’y prête !"). Sachant qu’à travers un critère d’attribution, l’acheteur public est tenu de valoriser seulement les éléments qui vont au-delà des exigences de la législation et de la réglementation, et de celles mentionnées dans le cahier des charges (relire " [Interview] Clause verte: faut-il simplement mentionner les objectifs légaux ... ou aller plus loin ?").

Prévoir des critères qualitatifs, c’est vouloir rechercher une prestation avec davantage de valeurs, quitte à payer un prix plus onéreux (relire "Des critères RSE dans les marchés publics : comment faire ?").

Sans oublier qu’un critère d’attribution doit avoir un lien avec l’objet ou l’exécution du marché...
 

De critère à formalité juridico-administrative


Dès lors qu’un critère qualitatif obligatoire n’a aucune influence sur la qualité de la prestation, il devient, hélas, une formalité juridico-administrative à suivre pour le soumissionnaire (et pour l’acheteur) sans aucun intérêt.A l’heure du nouveau projet de loi de simplification, où la commande publique est dans le viseur, une réflexion sur ce point serait intéressante… non ? (lire "Commande publique : « simplifier des règles qui sont dignes de Balzac »").

Au-delà de complexifier le processus, il y a aussi un risque juridique. Un critère "flou" confère au service achat un pouvoir discrétionnaire, et peut conduire celui-ci à une analyse arbitraire (relire" Vers une appréciation trop subjective avec des critères de jugement des offres trop "qualitatifs""). A l’inverse, il peut tout aussi bien être tenté de le neutraliser. Dans les deux scénarios, cela est un manquement aux principes de la commande publique (relire "Neutralisation du critère qualitatif : un recours irrégulier au critère unique prix").

De telles conséquences peuvent être perceptibles pour des "petits" travaux, où la règlementation interdit à l’acheteur public de sélectionner le prestataire uniquement à l’aide du seul critère prix ,quel que soit le degré de complexité du marché de travaux. Comme le relevait un praticien : « les pouvoirs adjudicateurs sont contraints d’imaginer des critères d’appréciation additionnels plus ou moins artificiels pour ne pas tomber sous le coup de la réglementation » (relire "Départager les offres uniquement sur le prix dans un marché de travaux").
 

Et si ?


Alors la rédaction d’achatpublic.info s’est "amusée" à imaginer les éléments plus ou moins loufoques que pourraient apporter en réponse à un critère environnemental un opérateur candidatant à un marché de prestations juridiques, tout en essayant de respecter bien sûr la règle juridique. Et on y voit des opportunités grâce à « l’intuitu personae » qui caractérise ses contrats.

En effet, l’ "être" en charge de la prestation étant ici une condition d’exécution essentielle, un facteur clé à la réussite de la mission, ce dernier pourrait alors mettre en avant sa démarche "écolo" dans ses choix vestimentaires. Souligner le « made in France » de ses costumes. Les plus ambitieux pourraient déclarer à l’acheteur qu’il s’habilleront, au cours de leurs échanges, avec un pull tricoté par une entreprise du territoire, dont la laine serait issue d’un élevage certifié « bio » et délivrée à l'entreprise en circuit-court. Porter également des bijoux confectionnés par un petit artisan local ou par une entreprise adaptée ou de l’économie circulaire, fabriqués avec des matières recyclées (relire "« Entreprises solidaires d’utilité sociale » : liste à disposition des acheteurs publics"). Et se chausser avec des ballerines de seconde main ou des souliers reconditionnés (relire "Réemploi, réutilisation et recyclage : des obligations d’achat étendues").

Pour les plus téméraires, assurer qu’ils limitent leur empreinte carbone en réduisant le nombre de douches, et qu’ils optent pour des savons bio-naturel. Quant aux amoureux des animaux, ils pourraient mettre en avant les soins apportés à leurs compagnons à poil qui les accompagnent dans leur vie personnelle et professionnelle (relire"Le bien-être animal : nouveau critère d’achat public à Bègles).

Pour l’heure, tout cela reste des galéjades… à moins que des avocats se saisissent de ces arguments et en fassent jurisprudence.
On rappelle au passage aux acheteurs publics qu’ils sont tenus de vérifier au cours de l’exécution la mise en œuvre par le titulaire de toutes ses belles déclarations dans son mémoire technique, et encore plus si le critère s’est avéré discriminant (relire "Les critères d’attribution doivent être cohérents avec le besoin").