Les CMRA, acheteurs missionnaires de l’Etat

  • 14/07/2011
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Le service des achats de l’Etat (SAE) les a envoyés en terre de mission, auprès des préfets de région, pour propager la bonne parole et évangéliser les services déconcentrés. On les appelle les CRMA (chargés de missions régionaux achat). Après plus d’un an, deux d’entre eux, Albane Pitois et Fabrice Miclo, racontent leur expérience. Avec un credo : travailler en interministériel sur le terrain pour améliorer l’efficacité des achats de la maison France.

A la fois courroies de transmission, relais de terrain, chefs d’orchestre du déploiement des marchés interministériels, les CMRA, comprenez les chargés de mission régionaux achats, sont des pièces maîtresses dans le dispositif imaginé par le SAE. Ils ont essaimé, à partir du printemps 2010, placés sous l’autorité des préfets de région. Arrivés pour une bonne part en provenance de la DGCCRF, à l’image d’Albane Pitois, basée en Basse-Normandie. Un profil idéal étant donné sa fréquentation de nombreuses CAO et son expertise des marchés publics. Son collègue lorrain, Fabrice Miclo, est sans doute plus atypique, puisqu’il vient du ministère du Travail. Leur feuille de route est claire. « Nos missions sont bien bordées, il s’agit de faire le lien entre le SAE et les services de terrain, de diffuser et faire remonter l’information, de collecter l’expression du besoin afin de mettre en œuvre localement les marchés nationaux », détaille Fabrice Miclo. C’est par exemple le cas de la climatisation-ventilation-chauffage (CVC). Cent soixante sites en Lorraine. Cent quinze en Basse-Normandie. Autrement dit un travail de bénédictin pour récupérer les données. « On a envoyé un tableau que les services devaient remplir. Mais plusieurs mois de relance ont été nécessaires avant de les récupérer. Certains n’avaient pas répondu, d’autres de manière incomplète, ou bien encore de façon incorrecte. Il a fallu tout remettre en cohérence », poursuit-il. Un recensement encore compliqué par les regroupements de services, très en vogue ces derniers temps. « Quand plusieurs administrations fusionnent, il faut ensuite ressortir tous les contrats passés par chaque entité », signale Albane Pitois. Le cas échéant, le chargé de mission regroupe les commandes au niveau du territoire lorsque le segment d’achats n’est pas (encore) piloté nationalement. « On se glisse dans les trous de la raquette du SAE », résume Fabrice Miclo qui s’est attaqué au marché d’assurance de véhicules (360 automobiles). A peine en poste, Albane Pitois a enclenché une mise en concurrence pour la recherche d’hôtels d’hébergement d’urgence. Une vraie première. « Cela n’avait jamais été fait alors que l’Etat dépense beaucoup d’argent dans ce domaine. » Les professionnels ont joué le jeu. Et le contrat a démarré le 1er janvier, avec une facture réduite de 16%.

Jouer la carte du conseil

Tout ne se passe pas forcément dans le meilleur des mondes. « On essaie de coordonner des personnes qui n’ont pas forcément envie de travailler ensemble », admet le CMRA lorrain, confronté à des susceptibilités historico-géographiques puisque Nancy et Metz se regardent en chiens de faïence, et à des résistances. Quelques services, qui ont le sentiment de perdre « une partie de leur souveraineté », refusent de monter dans le train. « On est indépendant », lui rétorque-t-on. Il y a aussi la peur de perdre son petit fournisseur du coin, de troquer de la souplesse pour tomber sous le joug d’une procédure décidée à Paris. Le contexte n’arrange rien. En 2010, les services ont été confrontés à la RGPP, à la création des directions départementales interministérielles, aux déménagements, à Chorus, etc. « Revenez-nous voir l’année prochaine », a souvent entendu Fabrice Miclo. Chez les Bas-Normands, Albane Pitois a moins de soucis. Attendue « comme le messie », elle rend visite à tous les directeurs et vend son arrivée comme une opportunité pour les services de « gagner des sous ». Comme son collègue lorrain, elle tisse des liens de confiance en jouant la carte du conseil, facilitant par ricochet la professionnalisation des troupes, autre objectif du SAE : « ma porte est ouverte en permanence », assure-t-elle. Les collègues, qui l’ont identifiée comme une spécialiste des marchés, viennent lui demander un coup de main, comme par exemple pour la mise en concurrence de la prestation de mise sous pli de la propagande électorale lors des élections 2012. Dans une « petite » région (trois départements) comme la sienne, les agents sont « polyvalents ». « Entendez par là qu’il y a peu de spécialistes de la commande publique. Et quand on en trouve, ce sont surtout des personnes qui connaissent les marchés et pas le côté économique », complète-t-elle.

Savoir se vendre

Fabrice Miclo partage le même constat. « Si les administrations centrales ont des techniciens de la commande publique dans leurs rangs, il y a beaucoup moins de spécialistes en région. Le résultat : très peu d’appels d’offres et des MAPA bricolés avec des cahiers des charges récupérés on ne sait où ». Il a également dans le collimateur un mal récurrent de l’achat public tricolore : le suivi des marchés. « On s’attarde beaucoup sur la rédaction des pièces, et très peu sur l’exécution des contrats. » Mais à chaque jour suffit sa peine. Le travail est « dur, compliqué, complexe mais enrichissant. A ce poste, on prend de la hauteur », enchaîne le chargé de mission lorrain, qui regrette toutefois une circulation mal structurée des informations entre le SAE, les différents ministères et le local. « On apprend parfois le déploiement de certains marchés par hasard. Heureusement, les CRMA échangent beaucoup et c’est tant mieux. » « Certains responsables ministériels achats, comme Gilles Martin, des services du Premier ministre, nous mettent dans la boucle », pondère sa collègue de Basse-Normandie, résolument optimiste. Le travail mené en si peu de temps est « énorme », insiste-t-elle : le SAE est né il y a seulement deux ans, et les CRMA n’ont guère plus d’un an d’existence. Le réseautage porte ses fruits. Albane Pitois peut compter sur une trentaine de correspondants. Son confrère lorrain a un carnet d’adresses de 112 personnes, réparties dans 47 services. « Cela progresse à pas de géant. On est reconnu. Mais il faut se vendre, faire des bilans, afficher les gains, et communiquer », martèle la fonctionnaire. Les résultats des premiers marchés regroupés devraient achever de convaincre les nombreuses ramifications de l’Etat d’adhérer à la démarche. La Lorraine peut se targuer d’une jolie économie de 70% pour les machines à affranchir, et la Basse-Normandie espère un minimum de 30% pour le CVC.

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