Logiciels libres et propriétaires : le débat continue devant le Conseil d’Etat

  • 26/09/2011
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Le contentieux opposant la région Picardie à deux éditeurs logiciels est arrivé sur le bureau du Conseil d’Etat. Dans ses conclusions, le rapporteur public, Bertrand Da Costa, a proposé le rejet du pourvoi formé par la région au motif que la référence spécifique à la solution open source Lilie n’était pas justifiée par l’objet du marché.

Il n’aura pas fallu longtemps au Conseil d’Etat pour examiner l’affaire du marché relatif à la fourniture d’une solution « open source » d’espace numérique de travail (ENT) Lilie lancé par la région Picardie. En juin dernier, le TA d’Amiens a annulé l’intégralité de la procédure au motif que la référence à la solution Lilie n’est pas justifiée par l’objet du marché, qui est la mise en œuvre, l’exploitation, la maintenance et l’hébergement d’une plateforme de service pour une solution d’ENT : « il ne ressort d’aucune pièce du dossier que seul le logiciel Lilie est susceptible de répondre aux exigences techniques requise par le marché », a considéré le juge du référé précontractuel (1). Ne s’avouant pas vaincu, la région s’est pourvue en cassation. Dans ses conclusions, le rapporteur public, Bertrand Da Costa, a proposé de rejeter le pourvoi et de condamner la région à verser à chacune des sociétés à l’origine du référé précontractuel la somme de 3.000 euros. A l’appui de son pourvoi, la région considère tout d’abord que le juge a commis une erreur de droit en déclarant recevable le requête des deux sociétés qui n’ont pas candidaté. Bertrand Da Costa explique qu’« après avoir rappelé les dispositions de l’article L.551-10 du code de justice administrative, le juge dans son ordonnance relève, je cite, que « les sociétés requérantes, en leur qualité de sociétés spécialisées notamment dans la mise en œuvre de solutions numériques pour les établissements d’enseignement, ont vocation à exécuter les prestations incluses dans le l’objet du marché litigieux ». Le magistrat ajoute que ces sociétés ont, en outre, formé un recours préalable et qu’elles sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué ». Selon lui, les sociétés sont donc recevables à agir même si elles n’ont pas déposé d’offres, c’est pourquoi il conclut au rejet du moyen lié à la recevabilité. Il ajoute : « à ce stade, la mention sur la lésion est inutile puisque le juge prend soin dans son ordonnance de la vérifier sur le fondement de la jurisprudence SMIRGEOMES ».

Une solution non justifiée par l’objet du marché

La région Picardie soutient, en outre, que le juge du référé précontractuel a méconnu les dispositions de l’article 6 IV du CMP et a dénaturé les faits en considérant que la référence unique à la solution Lilie a avantagé la société Logica, attributaire du marché. Elle estime que cette solution est une base de travail librement exploitable par tous les opérateurs. En outre, d’autres collectivités ont retenu d’autres entreprises pour le même logiciel. « Si cela est exact, la question déterminante n’est donc pas de savoir si la société Logica a bénéficié d’un avantage concurrentiel mais si le choix de Lilie exclut le déploiement de toutes autres solutions, estime Bertrand Da Costa. Le moyen porte sur l’articulation entre la liberté du pouvoir adjudicateur de définir ses besoins et la contrainte dans la façon dont le besoin est rempli. Est-ce qu’il fallait indiquer que le marché portait sur la fourniture d’un espace numérique de travail sans en spécifier davantage ou exiger la fourniture d’un logiciel libre particulier ? L’objet du marché portait sur le développement d’un ENT, la référence à Lilie n’était pas justifiée. De plus, la région ne détient pas de droit sur la solution Lilie car c’est un logiciel libre », argue le rapporteur public. Toutefois, le pouvoir adjudicateur affirme que cette solution est adaptée à son besoin et que le libre présente de nombreux avantages. Mais Bertrand Da Costa rappelle que le code des marchés publics impose au pouvoir adjudicateur de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse et de ne pas restreindre la concurrence. « La région ne rapporte pas la preuve que seule Lilie répond à ses besoins. Le juge du référé n’a donc pas dénaturé les pièces du dossier, ajoute-t-il. Mais il ne s’agit pas d’interdire le recours aux logiciels libres, il revient à la personne publique d’organiser au préalable une phase où toutes les solutions seront examinées ». Lors de l’audience, le conseil de la Région a tenu à formuler quelques explications supplémentaires. « Il faut bien distinguer deux phases : la première qui est l’acquisition du logiciel et de sa licence d’utilisation, ce que la région a déjà fait, et la seconde qui correspond au développement et à l’adaptation du logiciel aux spécificités de la personne publique, phase objet du présent marché ». La décision sera rendue d’ici peu.

(1) Logiciels libres et propriétaires : quand le juge s’en mêle…