Achat public socialement responsable : les outils et l’envie

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« L'engagement est ce qui transforme une promesse en réalité »
Abraham Lincoln

A l’heure où beaucoup d’acheteurs publics continuent à cogiter et s’interpeller, et ce depuis plusieurs semaines, sur le régime et la portée de la "pratique des 3 devis" (consulter notre dossier dédié "Procédure de passation : règle des 3 devis"), d’autres les poussent encore à pugnacité à aller toujours plus avant dans l’achat durable et inclusif.

Il y a quelques années, lors du lancement du Plan national pour des achats durables (PNAD) achatpublic.info avait un peu titillé le commissaire général au développement durable, Thomas Lesueur, en lui demandant si le volet social de l’achat durable n’était pas le parent pauvre du PNAD. Une assertion qu’il avait démentie: « la mise en œuvre de clause sociale n’obéit ni aux mêmes objectifs [que les clauses environnementales], ni au même tempo » (revoir "achatpublic invite… Thomas Lesueur").
Trois ans après, l’achat socialement responsable a-t-il enfin acquis le bon tempo ?
 

Acharnement durable

Oui, l’achat durable est ancré désormais dans l’esprit des acheteurs publics. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne nécessite pas, dans la pratique de véritables efforts qui relèvent presque de l’acharnement. Cette semaine, nous relayons l’achat de produits d’occasion pour les écoles de Nantes (lire "Nantes achète de l’occasion pour ses écoles et ses crèches") : un nouveau marché, étendu aux crèches, donc plus gros. Et surtout formidablement plus environnemental, poussant notamment les curseurs sur le recyclage et le réemploi, qui a pris plus d’un an.

Une réussite avérée, surtout si l'on prend en considération le constat initial : « les bordereaux des prix unitaires, tels qu’ils étaient fixés dans le marché précédent, asphyxiaient les finances des écoles. Aucun souci de l’environnement, pas plus que de clause d’inclusion n’avait été exprimé ». Un marché qui porte aussi la marque de l'audace : les bons de commandes des écoles, des crèches et autres services n’affectent pas leurs budgets, car ils sont payés directement par la ville. « Une façon d’inciter les enseignants et le personnel de terrain à recourir aux produits de seconde main ».

L’acharnement, sur ce projet dont l’objet peut sembler a priori "classique" s’avère payant : « nous avons eu davantage candidatures que d’ordinaire (…) nous avons obtenu résultat assez extraordinaire : 93 % des fournitures, pour ne prendre que cette part du marché, sont labellisées ou répondent aux exigences de la loi AGEC, recyclées ou issues du réemploi. »
 

Convaincre, toujours et encore

Pour Nabil Mohamed-Krachaï, le combat doit être poursuivi, sur tous les champs de l’achat durable : « il reste beaucoup à faire. Aujourd’hui, quand on parle d’achat responsable, on pense décarbonation et environnement. Les achats inclusifs, ou même les achats socialement responsables, sont le parent pauvre des achats responsables. » Selon l’expert achat socialement responsable au sein du Marché de l'inclusion, il faut toujours et encore sensibiliser et professionnaliser les acheteurs, « les faire monter en compétence » et leur faire surmonter des préjugés encore tenaces (lire "[Interview] Nabil Mohamed-Krachaï : « En achat inclusif, la qualité de l'achat reste la priorité").

En termes de "préjugés", il considère que le plus important est que les fournisseurs inclusifs sont en capacité d'intervenir uniquement pour des prestations de nettoyage, d’entretien des espaces vert ou des prestations de traiteur. « En réalité, les fournisseurs inclusifs sont en capacité de couvrir plus de 150 secteurs d'activités, et sur des prestations complexes ! (…) ils sont totalement capables de répondre aux exigences des acheteurs. »

La véritable réussite de l’achat public inclusif serait que les acheteurs publics comprennent que l’achat inclusif n’est ni dérogatoire au droit de la commande publique, ni un gadget médiatique qui reviendrait à "faire du social pour du social".
 

Toujours plus loin

Pour Patrick loquet, il faut aller encore plus loin. L’achat durable devrait prendre en compte de nouvelles dimensions, au-delà de la clause d’insertion, quitte à pénétrer au cœur de l’entreprise (lire "Achat public socialement responsable : dépasser le mur des heures d’insertion !"). « Un acheteur public peut s’intéresser aux conditions de travail des salariés et des collaborateurs qui seront en charge de l’exécution du marché ». Il est assez confiant, car il observe que les juridictions ont tendance, ces dernières années, à être souples sur l’exigence d’un lien avec l’objet du marché.

Toujours plus loin ans les clauses sociales ? C’est aussi une des pistes évoquées dans nos colonnes par Lucie Becdelièvre, Délégué générale d’Alliance villes Emploi : « Au titre des considérations sociales, nous devons mener le chantier de l’égalité femme/homme, mais aussi la clause d’illettrisme (…) L’enjeu, c’est de développer un outil de diagnostic de l’illettrisme, à disposition des chefs d’entreprise » (relire "[Interview] Lucie Becdelièvre : « Au-delà de l’outillage juridique, les clauses sociales ont une dimension stratégique").

 

Une lourde responsabilité

C’est donc une bonne dose d’optimisme et de volontarisme de la part des acteurs engagés de l’achat public socialement responsable qu’achatpublic.info inocule cette semaine. Mais tout est affaire d’équilibre… et de réalisme aussi. Pierre-Ange Zalcberg nous le rappelle avec force cette semaine (revoir "Jeudi 27 février : achatpublic invite…. Pierre-Ange Zalcberg : « La simplification de l’achat public ne peut se concevoir que sur le seul versant Entreprise»") : faire tout reposer sur la bonne volonté et l’engagement des acheteurs publics n’est sans doute pas suffisant.

D’abord, parce qu’ils sont loin d’être la cible prioritaire du choc de simplification de l‘achat public dont se targue le gouvernement. Ensuite, parce ce que c’est oublier certaines résistances que l’avocat n’hésite pas à dénoncer, tenant à certains travers des acheteurs publics (relire "[Tribune] «Les grands oubliés de la commande publique »"), ces « tendances conservatrices qu’ont certains acheteurs publics, empêchés par leur environnement d’innover et empêtrés dans une culture administrative de reproduction quasi « industrielle », formatée, de pratiques qui ne sont jamais réinterrogées » (relire "Tribune] «Les grands oubliés de la commande publique").


Autant la simplification de l’achat public ne pourra se faire sans les acheteurs publics, autant l’achat public socialement responsable ne repose que sur leur engagement...