L’acheteur public, tout en contraste !

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« Le portrait est l'une des formes d'art les plus curieuses. Il exige des qualités spéciales chez l'artiste, et une parenté presque totale avec le modèle »
Henri Matisse

La semaine dernière, avec un brin de provocation, notre éditorial posait la question de savoir si la fonction Achat ne nécessite pas une (petite) dose de paranoïa, pour faire face à des textes commande publique parfois imprécis, parfois contradictoires, mais toujours pour répondre à des objectifs assignés multiples (relire "L’acheteur public, « parano » par nature ou par nécessité ?").
Vous trouverez peut-être dans cette description une part de vérité. En vous disant, par exemple, que "votre" commande publique est décidemment peu efficace pour faire face aux crises… A nouveau, après le dispositif pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, après ceux conçus pour répondre à la crise Covid ou pour reconstruire les bâtiments publics détruits lors des émeutes de l’été 2023, c’est aujourd’hui pour reconstruire Mayotte qu’une loi spéciale devrait être rapidement adoptée. Avec son lot de dérogations au droit commun de la commande publique (relire "Reconstruction de Mayotte : des dérogations au code de la commande publique" et "Loi spéciale pour Mayotte : l’avis du Conseil d’Etat").

Cela donne à croire que décidemment, les outils dont disposent l’acheteur public sont tout sauf efficaces pour agir rapidement. Avec cet autre motif d’agacement : l’une des mesures que l’on retrouve quasiment dans chaque loi d’urgence, outre la dérogation au principe d’allotissement, c’est l'extension de la possibilité de recourir à la procédure de négociation... ce que les acheteurs appellent de leurs vœux au quotidien !

Frustré, ronchon… Ce serait donner une image bien négative de l’acheteur public, si, cette semaine, nous n’avions pas abordé leur quotidien et leur ressenti sous d’autres angles.
 

Sur le terrain

Nos portraits en situation contredisent de fait cette appréciation. La semaine dernière, Clémence Reneaud-Collin, cheffe du service coordination de l’achat responsable à la Métropole de Marseille nous disait concevoir au contraire son métier comme celui « d'accélérateurs de l’innovation », de créateur de liens et de synergies, avec un rôle moteur pour le développement des petites et moyennes entreprises. Et avec de grands espoirs quant au développement de l’achat durable et social… (relire "Une journée avec... Clémence Reneaud-Collin : « Les acheteurs publics assurent une fonction d’accélérateurs de l’innovation »").

Cette semaine, c’est le même dynamisme, qui confine à l'optimisme, que l’on trouve chez Sophie Dupuy, Directrice des achats et de la logistique du Centre Hospitalier de Perpignan. Des crises, elle en a géré, lors des ouragans Irma et Maria. Elle s’est forgée une conviction : « je gère de l’humain » dit-elle, convaincue que c’est là que se trouve le capital le plus précieux (…) un collaborateur bien dans son travail n’est-il pas plus efficient ? » (lire "Une journée avec... Sophie Dupuy : « gérer l'humain, le capital le plus précieux !").
 

Dans les enquêtes

Autre signe positif, la 17e édition de l'enquête d’AgileBuyer et du Conseil national des achats (CNA), rendue publique cette semaine (lire "Les acheteurs en 2025 ? Heureux... mais vigilants").
Certes, elle concerne les acheteurs publics et privés, mais le constat est sans appel : les professionnels achats sont de plus en plus heureux au travail ! Et ce même s’ils se déclarent de plus en plus vigilants dans l’exercice de leur profession, face aux risques de fournisseurs défaillants, cyber attaques (lire cette semaine notre article "Cybersécurité : un péril grandissant sur les marchés publics") et autres ententes illicites (consulter notre dossier dédié "Entente anticoncurrentielle").
Ils se disent conscients que l’une des contraintes fortes à assumer, c’est la réduction des coûts ("performance Achat" dit-on dans le secteur public – relire "Performance Achat : la DAE actualise son document de référence pour le suivi des économies Achats").

Des acheteurs publics conscients des enjeux de leur mission et engagés…tout serait donc parfait. Or la perfection, cela n’existe pas.
 

Contrechant

Cette semaine, l’avocat Pierre-Ange Zalcberg donne de la voix. Il égratigne un peu ce portait parfait de l’acheteur public. Lui aussi s’interroge sur les outils mis à sa disposition, mais pour recenser ceux qu’il n’utilise pas, ou pas assez : enchères électroniques, catalogue électronique ou SAD : « Après plus de 10 ans de directive européenne, ces techniques, surtout dédiées aux achats courants, ne rencontrent pas auprès des acheteurs publics un succès à hauteur de leur ambition alors qu’elles apparaissent comme résolument en phase avec le développement du e-commerce ces dernières années » (lire "[Tribune] «Les grands oubliés de la commande publique »").

Au-delà du rappel, Pierre Ange Zalcberg sermonne les acheteurs publics, prompts à fustiger une réglementation trop contraignante, ou se disant las d’attendre telle ou telle réforme. : « face aux raccourcis faciles, on oublie que nos textes contiennent déjà des outils qui peuvent constituer des leviers achat très prometteurs ». Pour lui, l’usage de ces techniques reste encore très confidentiel, du fait de la méconnaissance des règles de droit parfois, « mais aussi surtout du fait des tendances conservatrices qu’ont certains acheteurs publics, empêchés par leur environnement d’innover et empêtrés dans une culture administrative de reproduction quasi "industrielle ", formatée, de pratiques qui ne sont jamais réinterrogées. »

Pour le coup, l’image que l’on peut se faire de l’acheteur public en 2025 bénéficie d’une forme de contraste … le gage d’une photo réussie !