L’acheteur public aux petits soins avec ses fournisseurs ? Oui mais...

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« Le regard de l'autre n'est pas neutre. C'est une perception qui provoque une alerte émotive, une sensation d'invitation ou d'intrusion »
Boris Cyrulnik

Au printemps dernier, la rédaction d’achatpublic.info est allée à la rencontre de représentants d’entreprises pour leur proposer un point d’actualité de la commande publique. Des débats passionnants s’en sont suivis. D’une part, ils se disent persuadés qu’en matière de marchés publics, « rien à faire, les dés sont pipés : c’est copinage et compagnie ». D’autre part, ils expliquent qu’« ils n’y vont pas, car c’est trop compliqué, la commande publique ! ». Quand nous tentons de leur expliquer que si le code de la commande publique est de fait "technique", c’est aussi pour assurer transparence et égalité de traitement, ils restent campés sur leur position critique.

Mais le plus surprenant, c’est leur vison de la commande publique : ils sont persuadés que l’objet principal du code, c’est d’assurer l’accès des entreprises aux achats publics. Les objectifs de satisfaction d’un besoin public tout en assurant la bonne gestion des deniers publics ne leur apparaissent pas directement.
Forcément, il y a de l’incompréhension, avec les acheteurs publics : eux ne se voient certainement pas au service des entreprises...
 

 Convergence des intérêts 

« Il y a de l'incompréhension » ? Et bien les choses évoluent. Sans dire que la réglementation est « au service » de l’un ou de l’autre des acteurs de l’achat public, force est de constater une convergence des intérêts affichée. Certes, la crise Covid et le conflit en Ukraine sont passés par là, et la crainte du défaut d’approvisionnement est désormais omniprésente Certes, aussi, les orientations liées à la souveraineté, voire le localisme, irriguent tous les discours et débats politiques (relire "Les acheteurs en 2025 ? Heureux... mais vigilants").

Mais il semble qu’il y a bien plus que cela désormais…
 

Gagnant/gagnant

Cette semaine, nous nous penchons sur la démarche de la Plateforme sud du Service du Commissariat des Armées. Elle entend renforcer les relations avec ses fournisseurs en leur délivrant un document dont ils pourront se prévaloir pour soumissionner à de nouveaux marchés, en France comme à l’international. Ce certificat de bonne exécution de marché offre aux entreprises une meilleure visibilité et, dans le même temps, il garantit aux services du ministère des Armées une parfaite exécution des marchés. « Pour nous et le service du commissariat des armées, c’est une garantie de performance de la qualité de la relation fournisseurs, un soutien renforcé des petites et moyennes entreprises ainsi que des entreprises de taille intermédiaire fournisseurs des armées » (lire "Le Commissariat des Armées valorise ses fournisseurs").

Plus encore, la Délégation des entreprises du Sénat constate, ou souhaite, une véritable alliance entre acheteurs publics et entreprises. Elle est persuadée que la lutte contre le dérèglement climatique passe nécessairement par la commande publique, laquelle est même vue comme LE moteur de la transition écologique des entreprises.
Pour le coup, la délégation martèle aussi que le cadre juridique du Code de la commande publique est un frein : trop rigide ! Pour que les TPE et PME s’engagent dans une démarche de décarbonation, il faut qu’elles soient accompagnées et bénéficient d’aides publiques. « Une manne financière » qui peut être apportée notamment par les dépenses publiques réalisées dans le cadre des achats. La délégation recommande ainsi de prioriser dans l’achat public les entreprises dont la chaîne de valeur est locale au regard du Scope 3 (lire "La commande publique : le moteur de la transition écologique des entreprises ?").
 

Contrôles et contreparties accrus

D’abord, la commande publique reste cadrée, et sous l’œil vigilant notamment des instances de contrôle financières. Il y a quelques jours, nous avons relevé ce rapport critique de la Chambre régionale des comptes Occitanie, qui passe au crible certaines tentatives de localisme (relire "Y a-t-il anguille sous roche en cas de marchés publics confiés à des PME locales ?" - relire aussi "Confier des marchés publics à des entreprises locales : c’est bien, ou pas ?").

En outre, si les entreprises peuvent se réjouir de ce que, bien au-delà du simple sourcing, les acheteurs publics se montrent de plus en plus soucieux de leur situation, il faudra aussi qu’elles admettent que les acheteurs publics les observent avec attention, pour vérifier qu’elles répondent bien à leurs exigences, notamment environnementales et sociétales, de plus en plus précises. Et oui, il y a forcément une "contrepartie "... D’ailleurs, la politique achat qui sous-tend les objectifs de l’acheteur public emporte de plus en plus son lot d’exigences et de contraintes, à charge pour l’acheteur de les mettre en œuvre. On pense au "Beges" et autre Plan de vigilance, bien sûr (relire "BEGES et plan de vigilance : un nouveau moyen de pression en référé précontractuel ? " et "Manquement aux obligations du BEGES : une exclusion de la commande publique controversée").

Notons enfin, et pour étayer nos propos, que si la disposition survit au passage du texte devant l’Assemblée nationale, le projet de loi de simplification de la vie des entreprises (article 4 quater) prévoit un nouvel article Art. L. 2141 2 1 du Code de la commande publique aux termes duquel « Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui n’ont pas rempli leurs obligations mentionnées à l’article L. 232 21 du code de commerce au cours des deux exercices précédents », c’est-à-dire la publication de leurs comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe…

Cela pourrait aller, même si l’on doute du vote de la proposition de loi dédiée, jusqu’à renforcer l’obligation de transparence et à réduire le champ du secret des affaires (relire "Une proposition de loi pour mettre fin au secret des affaires").

Autrement dit, la « bienveillance » des acheteurs publics vis-à-vis de leurs fournisseurs a nécessairement une contrepartie, qui se manifeste par une exigence de transparence accrue. Il ne serait pas étonnant alors d’entendre des protestations contre une forme d’ingérence des administrations dans la vie des entreprises.


L’achat public, ce n’est pas le mécénat. Même si il y a « un geste » de la part de l’acheteur public, cela reste un contrat, avec des droits et obligations réciproques.