L’acheteur public, « parano » par nature ou par nécessité ?

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« La méfiance est toujours pour moi une des formes de l'intelligence. La confiance une des formes de la bêtise »
Paul Léautaud


Est-ce que l’on joue à se faire peur, cette semaine, en se demandant si Béges et plan de vigilance ne sont pas appelés à devenir des armes contentieuses redoutables à usage des candidats évincés ? (lire "BEGES et plan de vigilance : un nouveau moyen de pression en référé précontractuel "). La question revient aussi à se demander si un candidat évincé pourrait reprocher à un acheteur public d’avoir retenu une société qui méconnaîtrait l’une de ces obligations et, plus avant, de ne pas avoir actionné une interdiction de soumissionner classée dans les « exclusions à l’appréciation de l’acheteur » du code de la commande publique (CCP, art. L. 2141-8).

Cela amène d’ailleurs deux séries d’observations.
 

De la finesse du texte…

D’abord, sur la finesse, ou les ambiguïtés des textes : le terme « facultatif » prête à confusion reconnaissait le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions sur l’arrêt "Société Suez Eau France" du 2 février 2024. Il considère même que chaque terme doit en réalité s’apprécier dans son contexte. Ainsi, le respect des principes fondamentaux de la commande publique est en toute hypothèse obligatoire, « de sorte qu’une exclusion, quoique dite facultative, peut à l’occasion se révéler indispensable à la régularité d’une procédure de passation […]. Il ne faudrait donc pas penser qu’une exclusion facultative est de l’ordre du pur pouvoir discrétionnaire de l’autorité concédante ».
De quoi susciter la prudence, voire la méfiance.

C’est cette même prudence qui amène la rédaction à s’interroger, cette semaine encore, sur la nouvelle rédaction de l’article R. 2112-7 du Code de la commande publique, issue du décret de simplification du 31 décembre 2024 (lire "Prix définitif : quelle simplification dans la commande publique ?"). Cette nouvelle rédaction donne l'impression d'apporter davantage de souplesse à ces pouvoirs adjudicateurs : elle semble ne plus imposer expressément la conclusion d’un marché à prix définitif. Il y est mentionné que : « Lorsque les acheteurs concluent des marchés à prix définitifs, ils sont soumis aux dispositions de la présente sous-section ». Oui mais, une lecture dans le contexte" contredit la lecture immédiate de la nouvelle disposition, puisque le code liste toujours scrupuleusement les cinq hypothèses dans lesquelles un marché à prix provisoires est possible (CCP, art. R. 2112-17).

Gare aux lectures trop rapides et aux incompréhensions qui s'ensuivent ! Certaines perdurent, et ne se résolvent, en pratique, que par l’intervention du juge. A l’instar de celle à laquelle cet arrêt du Conseil d’Etat entend mettre fin à des « incompréhensions bien ancrées » : non, l’acheteur n'est pas tenu de suivre l'avis émis par le jury du concours et qu'il peut, notamment, porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé premier par le jury (relire "Concours de maîtrise d’œuvre : l’acheteur public libre de ses choix").
 

... à l’importance des objectifs politiques 

Méfiance encore, face aux conséquences de la « politisation » de l’achat public… Politisation, au sens de considérer que la commande publique est un levier au service de toutes les politiques environnementales, sociales voire sociétales. Car on peut facilement verser dans l’excès !
Pour preuve, cette mise au point de la CRC Occitanie (lire "Y a-t-il anguille sous roche en cas de marchés publics confiés à des PME locales ?"). Elle n’apprécie guère que l’acheteur public joue sur les mots : non, un sous-critère « compréhension du contexte et des enjeux » ne doit pas être pondéré à l’excès pour permettre du localisme. Car si l’achat local, la réindustrialisation ou la recherche du meilleur bilan carbone sont des objectifs possible, ils ne peuvent constituer l’objet principal de l’acte d’achat et conduire l’acheteur public à méconnaitre frontalement les principes fondamentaux de la commande publique.


A vouloir trop simplifier, tout en demandant toujours plus à l’acheteur public, on développe les zones d’imprécisions, voire le risque de contradictions, ou de violation du droit. De quoi mettre en tension l’acheteur public. Tout est donc une question de dosage : à trop vouloir simplifier pour les entreprises, on complexifie inutilement pour les acheteurs, au risque de les rendre excessivement méfiants.