Feux croisés sur la commande publique !

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« L'archer a un point commun avec l'homme de bien : quand sa flèche n'atteint pas le centre de la cible, il en cherche la cause en lui-même »
Confucius

Et donc, si cette proposition de résolution sénatoriale aboutit, ce qui ne surprendrait guère, la commande publique devrait subir un nouvel audit parlementaire (lire "La commande publique sous enquête parlementaire"). Selon les auteurs de cette résolution, « les modalités et les coûts réels de la commande publique, et plus largement son impact global sur l'économie française, restent insuffisamment documentés ».
 

Une, deux, trois enquêtes… et plus encore !

Certes, à la lecture de l’exposé des motifs, l’initiative ne peut être que considérée comme vertueuse. Elle vise des objectifs "classiques". On parle d’efficacité (« examiner les écarts entre les coûts prévisionnels et les coûts effectifs des projets financés par la commande publique »), de simplification (« identifier les obstacles administratifs, techniques ou financiers qui freinent l'accès des entreprises, et en particulier des PME, aux marchés publics ») et d’efficience (« évaluer les impacts économiques et sociaux, directs et indirects, de la commande publique » et maximiser (ses) externalités positives sur l'économie française »).
Sur le principe, rien à redire. Sauf que cela commence à faire beaucoup...

On pense, s’agissant des délégations de service public, à ce rapport de la Cour des comptes qui alerte notamment sur l’inefficacité des mécanismes de mise en concurrence et le constat d’une relation déséquilibrée entre déléguant et délégataire : « Les délégations de service public ne doivent pas constituer un "angle mort "de la gestion publique » (lire "La Cour des comptes fustige la gestion « mal déléguée » de service public"). D’ailleurs, restez en contact : achatpublic.info a recueilli l’avis de l’Institut de la gestion déléguée sur ce rapport, que vous pourrez découvrir la semaine prochaine.

On pense aussi à certaines préconisations du rapport "Ravignon" (maire de Charleville-Mézières et président d’Ardenne Métropole). Elles pourraient être reprises dans le cadre de l’examen par l’assemblée nationale du projet de loi de simplification de la vie économique. Par exemple, un relèvement ou suppression de seuils de procédure : Boris Ravignon estime que le gain budgétaire potentiel lié à la suppression du seuil de 90 000 € est compris entre 39 M€ et 318 M€ sur la base d’un coût de procédure d’un MAPA à 6 800 € et de procédure formalisée à 11 150 € (relire "Le millefeuille administratif à la sauce commande publique" et "[Interview Boris Ravignon] Augmentation des seuils et diminution des coûts de procédure : « une demande très forte des collectivités publiques »").

On pense enfin à l’annonce par la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales de ses travaux en 2025 : elle souhaite « concentrer ses travaux sur la commande publique » et lancer une mission pour analyser l’impact des procédures de passation des marchés par les collectivités territoriales, qu’elle juge « trop complexes » et « trop longues » (lire sur Maires de France : "Sénat : les principaux travaux au menu de la Délégation aux collectivités").

Sans surprise, Bercy emboîte le pas : Éric Lombard, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, lors de ces vœux aux acteurs économiques, annonce un nouveau « choc de simplification ». Si sa priorité reste le rétablissement des finances publiques, « le redressement de nos comptes passera surtout par des économies substantielles en rendant la dépense publique plus efficace » (relire "Cérémonie de vœux d’Eric Lombard à Bercy : retour du "choc de simplification"").

A vrai dire, sur cette suspicion d'inefficacité de la commande publique, rien de véritablement nouveau (relire "Haro sur le Code de la commande publique !" et "Qui veut la peau du code de la commande publique ? Tout le monde… sauf les acheteurs").
 

Des outils pour contrôler la dépense ? Dans l'ADN de l'achat public !

Le procès intenté au code de la commande publique fait mine d’oublier que l’acheteur se soucie de la dépense publique ? C’est même dans son ADN !

En amont, la notion de financement de la commande publique se développe : « La "bankabilité" des contrats devient un impératif pour les acheteurs publics » (relire "Contrats de la commande publique : le financement, c'est important" et consulter notre dossier "Financement de l'opération").

En aval, des mécanismes de contrôle sont prévus par le code, notamment avec le mécanisme d’offre inacceptable. Cette semaine, nous relevons que ce mécanisme fonctionne : ce n’est pas compliqué d’évincer un soumissionnaire sur le fondement de l’offre inacceptable si le montant des crédits budgétaires alloués au marché public est indiqué dans le dossier de consultation ( lire "Publication des crédits budgétaires alloués au marché public : pas de difficulté d’écarter une offre inacceptable" et "Offre inacceptable : le montant des crédits budgétaires alloués au marché public doit-il être publié ?").
 

Prendre l’achat public à bras le corps

Le contexte financier tendu explique que les coûts de la commande soient réinterrogés. Mais la question qui se pose, c’est de savoir s’il faut remettre en cause l’outil, sans s’interroger sur le savoir-faire ou les intentions de celui qui l’utilise. Là, on ne vise par le "professionnel de l’achat public", mais bien les personnes publiques acheteuses.

D’abord, les services achats ne sont pas insensibles à la situation financière et la façon d’améliorer leurs pratiques Achat (lire par exemple "Performance Achat : la DAE actualise son document de référence pour le suivi des économies Achats"). Les acheteurs publics ont aussi leur petite idée sur les améliorations à apporter à leur pratique (relire "[FSMP 2024] Simplification : le salut viendra-t-il des acheteurs ?").

Revoir ses pratiques achats, cela n’implique pas nécessaire "simplifier" le code de la commande publique (relire "La performance achat : un principe qui a le vent en poupe" et "[Interview] Performance achat : respecter le code de la commande publique n'est pas suffisant"). D’ailleurs, pour certains, le code de la commande publique, c’est au contraire un « vecteur de performance » (relire "Le Code de la commande publique, cet allié de la performance "achat"").
 

La sobriété, c'est "politique" !

achatpublic.info relève les initiatives de ces collectivités qui prennent l’achat public à bras le corps, sans remettre en cause l’outil, mais en s’interrogeant, en amont, sur la décision achat. Par exemple par la création d’un Comité d’optimisation des achats (COA) (relire "[Interview] Benoit Mercuzot : « Les élus ne peuvent pas être étrangers au process d’achat public ! »") ou en mettant en place des délégations en mode « sobriété » (relire "La sobriété s’invite au forum des acheteurs publics à Nantes" - "Sobriété hydrique : la réponse "concession performante" de la CA du bassin de Brive" et "La sobriété dans la commande publique : un concept difficile à cerner").
« La commande publique est le bout de la chaîne de la stratégie de territoire », expliquait dans nos colonnes Sébastien Maire, Directeur général de l'association de France Villes & Territoires Durables (relire "[Interview] Sébastien Maire : « La sobriété, une politique du renoncement »").


Au final, tout de même… On se croirait presque dans un épisode des Shadocks, non ? Car à tout bien y réfléchir, ces enquêtes, probablement à charge, visent à réduire les coûts d’une réglementation qui s’attache d’abord à répondre aux besoins publics en veillant à la bonne gestion des deniers publics ! 
Ou alors, c’est surtout une nouvelle poussée tendant à déréglementer, c’est-à-dire se débarrasser des outils de contrôle...