Modernisation des achats : les hôpitaux roulent plein phare

  • 20/10/2011
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Début octobre, le ministère de la Santé a rendu public le programme de « performance hospitalière pour des achats responsables » alias PHARE. Piloté par la direction générale de l’offre de soins (DGOS), le plan vise à accélérer la professionnalisation de la fonction achats, capable de dégager de nouvelles marges de manœuvre financières pour des hôpitaux qui en ont bien besoin.

Le trois octobre dernier, Annie Podeur, directrice générale de l’offre de soins, a présenté aux hospices civils de Lyon, le programme PHARE, dont l’avant-projet avait été dévoilé il y a un an lors du symposium des acheteurs de la santé à Issy-les-Moulineaux (1). Comme le chat échaudé craint l’eau froide, le ministère de la Santé a pris soin de ne pas retomber dans les travers du précédent plan de modernisation, esquissé par la MEAH en 2003, avant de se liquéfier, suite aux levées de boucliers générées chez les professionnels du secteur (2). Plus d’annonces fracassantes, pas de rodomontades. Il a par exemple évité de partir bille en tête sur les gains, estimés quand même à 900 millions d’euros sur trois ans (sur un périmètre global de 18 milliards). Deux familles d’achats sont en première ligne : les médicaments (160 millions de gains espérés, soit 3% sur 5,5 milliards) en facilitant le passage au générique, en homogénéisant le livret thérapeutique, et en organisant des marchés régionaux, ainsi que les bâtiments, pour lesquels il n’y a pas vraiment un regard d’acheteur (6% sur 4,2 milliards). « Ce ne sont pas des objectifs inatteignables », assure la DGOS. « Se mettre au service des établissements » est le même le credo de l’équipe projet constituée au ministère de la Santé, et confiée à Hervé de Trogoff, ancien coordinateur des programmes Calypso au service des achats de l’Etat, entré en fonction le 1er septembre dernier, et qui a reçu l’appui de la direction générale de la modernisation de l’Etat (DGME) à Bercy. A l’image du SAE, le ministère ne veut surtout pas apparaître comme un donneur de leçons, et table sur l’exemplarité. Et la DGOS admet bien volontiers que les acheteurs de santé ne l’ont pas attendue pour s’atteler à la tâche. « Il y a d’excellentes pratiques dans les établissements de santé, il faut récupérer tout ce qui a été bien fait, capitaliser et rendre accessible ce savoir-faire. C’est bien d’avoir de bonnes idées, encore faut-il être capable de les partager », explique-t-on en substance avenue Duquesne. Le ministère a sélectionné une trentaine d’établissements afin d’étudier de manière approfondie leurs succès et la méthode. De quoi convaincre les directeurs d’établissements qu’investir sur la fonction achats peut rapporter gros.

Des marchés groupés pour tous

Le ministère a également pris soin d’associer en amont les principaux acteurs de l’achat de santé. Du côté du RESAH-IDF, groupement qui participe à la gouvernance du projet, Dominique Legouge semble plutôt satisfait. « Un des mérites du plan est de mettre en lumière l’aspect stratégique de l’achat hospitalier », analyse le patron du groupement francilien, qui a toujours insisté sur la nécessité de placer les achats au centre des préoccupations des directions (3). Même son cloche chez Bruno Carrière, directeur d’UniHa : le plan arrive à point nommé pour relancer le sujet mis sur la table par la MEAH, le problème est bien posé, l’organisation bien choisie avec des « interlocuteurs de métier » et l’appui du service des achats de l’Etat. « Les gains définis sont raisonnables, réalistes, fondés sur l’analyse d’actions déjà menées », complète-t-il. PHARE va marcher sur deux pieds. Le premier, c’est le renforcement des marchés groupés, nationaux, régionaux. Si la mutualisation des achats hospitaliers a déjà engrangé pas mal de succès grâce au RESAH-IDF et à UniHA, la DGOS veut élargir le mouvement, pour en faire bénéficier un plus grand nombre d’établissements. Comme pour le SAE, des « gains rapides » ont été identifiés dans les segments du papier, du contrôle réglementaire des bâtiments, de la bureautique, des solutions d’impression, de la téléphonie mobile, et des véhicules. Le programme PHARE a également clarifié la répartition des rôles. Là encore, le ministère ne veut pas briser la mécanique. Le RESAH en Ile-de-France, et UniHA côté grands établissements, conserveront leurs périmètre, tandis que ll’UGAP servira d’opérateur pour les autres. Le ministère veut aussi inciter les regroupements locaux, soit à l’échelle d’un territoire, soit entre établissements de santé publics et privés, notamment dans le domaine du médicament, des produits liés à l’incontinence ou des denrées alimentaires. Les acheteurs ne seront pas lâchés dans la nature puisqu’un kit de constitution d’un groupement (règles juridiques, financement cahier des charges) sera disponible en novembre.

Le rôle pivot des ARS

Donner un coup de fouet à la professionnalisation de la fonction sera le second pied. PHARE recommande notamment la nomination d’un référent unique dans les structures dépensant plus de 20 à 25 millions d’euros par an, et préconise de trouver une solution mutualisée pour les plus petits établissements. « C’est important pour décloisonner : si les directions d’un hôpital ne se parlent pas, on n’a pas de raisonnement complet incluant les cycles de vie des produits et l’impact sur le travail des autres », assure-t-on à la DGOS. « Le référent unique, capable de piloter une démarche achat, ne sera pas forcément un acheteur pro. On ne pourra pas recréer des équipes achats complètes, même dans les grands établissements. Il faut mutualiser les ressources et les compétences », observe Dominique Legouge. Les agences régionales de santé (ARS) auront un rôle névralgique dans le nouveau dispositif, en identifiant les acteurs de bonne volonté et les talents, en impulsant et en animant la réforme. Dominique Legouge se réjouit aussi du choix de la région comme « de gestion de la transformation », échelon qu’il a toujours défendu. A condition toutefois que les ARS jouent le jeu, en animant sans interférer sur l’autonomie de gestion des établissements. C’est pourquoi il défend la création de structures à l’image du RESAH un peu partout. « Il est nécessaire de distinguer le pilotage des ARS et l’activité opérationnelle, qui peut être confié à des opérateurs tiers. Ce modèle marche en Ile-de-France. » A UniHA, organisme à vocation plutôt national, le sujet a, un moment, provoqué l’inquiétude. « Mais le ministère de la Santé a assuré que nous avions toute notre place dans le dispositif. Nous sommes prêts à accompagner les régions et les établissements qui souhaitent travailler avec nous en partenariat », poursuit Bruno Carrière. Pas à n'importe quel prix toutefois. "Les outils et les compétences appartiennent à nos adhérents. On a trop tendance à penser que les gros peuvent aider les petits sans compter. Il n'est pas raisonnable d'imaginer que le gratuit puisse être une garantie de pérennité", prévient-il. En attendant, le ministère ne veut pas perdre de temps. Depuis septembre, la région PACA sert de région test. L’équipe d’Hervé de Trogoff « coache » par exemple le CH d’Avignon sur la performance notamment des marchés de travaux et des achats de produits de laboratoire. Quatre autres régions (Picardie, Pays de Loire, Nord-Pas-de-Calais, Bretagne) seront mises dans la boucle en décembre. Et début 2012, Phare sera déployé sur tout le territoire. Ce planning conçu sur un « train d’enfer » est peut-être le seul bémol qu’apporte Dominique Legouge qui s’interroge sur la capacité des organisations les moins matures en achat à absorber le choc, et qui espère que le soufflet ne retombera pas. « Le décollage de PHARE est bon. Mais il faudra garder l’impulsion, au niveau régional et national, sur le long terme. »

(1) Lire : la performance des achats hospitaliers en haut de l’affiche
(2) Lire : achats hospitaliers : polémique sur fond d’économies potentielles
(3) Lire : L’achat hospitalier à la recherche d’une nouvelle gouvernance

Jean-Marc Binot © achatpublic.info