Exploitation de réseau : entité adjudicatrice ou pouvoir adjudicateur ?

  • 25/10/2011
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A propos de l’exploitation du service de transport des personnes à mobilité réduite par un tiers, le rapporteur public, Bertrand Da Costa, a estimé qu’en agissant comme entité adjudicatrice, la personne publique avait commis un manquement. Elle aurait du appliquer pour son marché, les dispositions issues de la première partie du code des marchés publics relatives aux pouvoirs adjudicateurs.

Quelle est la qualité d’une personne publique qui passe un marché public d’exploitation du service de transport des personnes à mobilité réduite ? Dans une ordonnance rendue en mai 2011, le juge du référé contractuel de Strasbourg a jugé que l’acte par lequel la communauté d’agglomération de Sarreguemines Confluent se proposait de confier à un tiers l’exploitation de ce service est constitutif d’une activité d’exploitation du réseau au sens de l’article 135 du code des marchés publics. La personne publique agit comme une entité adjudicatrice. Elle peut donc passer par la procédure adaptée, le montant total du marché, 228.000 euros, n’excédant pas le seuil fixé pour les entités adjudicatrices (ndlr : 387.000 euros). Estimant qu’elle aurait du agir comme un pouvoir adjudicateur, la société requérante a porté l’affaire devant le Conseil d’Etat. Bien lui en a pris. A l’issu de ses conclusions, le rapporteur public, Bertrand Da Costa, a proposé à la haute juridiction d’annuler l’ordonnance rendue, d’annuler le marché avec effet différé à deux mois, et de condamner la communauté d’agglomération à verser 4.500 euros à la société requérante.

Pouvoir adjudicateur ou entité adjudicatrice ?

Bertrand Da Costa rappelle que le droit communautaire prévoit un régime spécifique pour les secteurs spéciaux. Le pouvoir adjudicateur qui exploite un réseau devient une entité adjudicatrice. Quand une collectivité confie la gestion d’un réseau, agit-elle comme pouvoir adjudicateur ou entité adjudicatrice ? « A l’occasion du recours contre le code des marchés publics, vous aviez jugé que l’article 135 du texte ne s’applique pas aux actes par lesquels la personne publique confie à un tiers l’exploitation d’un réseau (1). En 2009, vous avez confirmé votre solution. Confier à un tiers l’exécution du service de transport scolaire n’était pas constitutif d’une activité d’exploitation de réseau ni davantage une activité de mise à disposition de réseau au sens de l’article 135 du code des marchés publics (2) », argumente le rapporteur public. La casquette d’entité adjudicatrice lui est attribuée, lorsque la collectivité constitue elle-même le réseau, lorsqu’elle acquiert un équipement qui intègre le réseau ou enfin lorsqu’elle confie à un tiers un réseau déjà constitué. Etre dans l’une ou l’autre case a un impact sur les procédures mises en œuvre. « L’entité adjudicatrice pourra passer une procédure négociée sans condition de montant, alors que le pouvoir adjudicateur devra recourir à l’appel d’offres en cas de dépassement des seuils. La personne publique commet un manquement quand elle applique à tort les règles des entités adjudicatrices. En revanche, ce manquement n’a aucune incidence, alors même que la collectivité a décidé à tort d’être entité adjudicatrice, si elle met en œuvre les règles de l’appel d’offres des pouvoirs adjudicateurs », poursuit le rapporteur public.

Une annulation avec effet différé

Dans ses conclusions, Bertrand Da Costa relève que le juge a retenu une solution contraire à celle dégagée par la jurisprudence du Conseil d’Etat. « Aucun des argument ne nous paraît convaincant. La qualité d’entité adjudicatrice de la communauté d’agglomération pour l’exploitation du réseau de transport urbain ne préjuge en rien de sa qualité de pouvoir adjudicateur ou d’entité adjudicatrice pour le transport des personnes à mobilité réduite », précise le rapporteur public. Dans son ordonnance, le juge semble estimer que le transport de cette catégorie de personnes est un sous-ensemble du réseau urbain existant qui ne peut en être détaché. « Toutefois, l’objet du marché est l’exploitation distincte du service de transport des personnes handicapées. La personne publique a confié à un tiers un service distinct, sa qualité d’entité adjudicatrice ne joue pas. Elle est un pouvoir adjudicateur, le juge a commis une erreur de droit », considère-t-il. Il ajoute que les conséquences vont être dévastatrices pour la personne publique. Si la société n’a pas pu introduire un référé précontractuel, la porte du contractuel reste ouverte, faute pour le pouvoir adjudicateur d’avoir rendu public son intention de conclure le contrat et d’avoir respecté un délai de stand still. S’agissant des sanctions, l’article L.551-18 du code de justice administrative dispose que « le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite ». En l’espèce, le marché est d’une durée de un an, renouvelable deux fois. Le montant annuel a été évalué à 76.000 euros HT. Mais la mise en concurrence se fait sur l’ensemble de la durée, à savoir trois ans. Le montant total est donc de 228.000 euros HT. « Si le marché avait été passé par une entité adjudicatrice, une publicité au BOAMP ou dans un JAL aurait suffit, le seuil de procédure étant de 387.000 euros. En revanche, pour un pouvoir adjudicateur, le seuil est fixé à 193.000 euros. Au-dessus, une publication au JOUE s’impose », précise le rapporteur public. L’absence de publication au niveau européen conduit à l’annulation, sans qu’un motif impérieux d’intérêt général ne vienne s’y opposer. « Pour éviter que le service cesse abruptement de fonctionner, l’annulation doit être prononcée avec un effet différé. Un délai de deux mois nous semble suffisant pour mener une nouvelle procédure », conclut Bertrand Da Costa. Le Conseil d’Etat doit maintenant se prononcer.

(1) Le Conseil d’Etat tire un trait sur trois alinéas du Code

(2) N’est pas entité adjudicatrice qui veut