Edito 591

  • 20/05/2016
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Plus belle la commande publique, saison 3, épisode 4.

Après avoir siroté son traditionnel cacao accompagné d’une viennoiserie chez Léon, le café qui se situe juste en face de la mairie de Pichade-sur-Mer, et noté scrupuleusement tous les potins concernant le maire et ses adjoints sur le carnet noir qui ne quitte jamais sa poche de veston, Alain Fructuheux, plutôt guilleret, se rend au bureau en chantonnant. Aujourd’hui, c’est vendredi - merci Seigneur - et après avoir envoyé les 254 lettres de rejet qui se languissent depuis le début de la semaine dans la bannette « courrier en retard », il pourra enfin se replonger avec délices dans le haletant polar scandinave d’Harald Hallotirssetrodur, afin de savoir - enfin - qui a sauvagement dépecé le président de la CAO de la petite ville de Badunkkafjönivik. Mais en poussant la porte de son bureau, il hoquette d’horreur, frôlant l’avenant volontaire chronique (AVC). Revêtu d’une combinaison intégrale de protection NBC, son collègue Jean-Aymar Desmapas manipule précautionneusement un cahier des charges avec l’aide d’une pince philatélique. « Tu as inoculé le virus Vika pendant tes derniers congés aux Antilles ? », lui demande Alain Fructueux, tentant de ne pas se départir de son flegme proverbial. « Si ce n’était que cela, mon pauvre ami ! Non, je viens d’apprendre que la cour de cassation avait confirmé la condamnation d’un fonctionnaire à un an de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende. Devine pourquoi ?  Parce que l’un de ses amis sur Facebook, gérant d’une société, a répondu à un marché dont il avait rédigé le CCTP et le rapport d’analyse des offres. Son avocat a plaidé que le délit était hypothétique puisqu’il s’agissait d’une situation potentielle de conflit d’intérêt. Peine perdue (lire notre info). Alors moi maintenant, je prends des gants. Je ne veux pas que les experts de la police scientifique retrouve mes empreintes ou la plus minuscule trace de mon ADN sur les documents de la consultation. Comme tu le sais, mon fils aîné est scolarisé dans le même établissement que la fille de Tony Truand, l’entrepreneur retenu pour la vidange des latrines des abattoirs municipaux. Je le vois régulièrement puisqu’on participe tous les deux à l’organisation de la kermesse annuelle de l’école. Ce soir en rentrant, je supprime tous mes comptes sur les réseaux sociaux, et ensuite je divorce. Ma femme est cousine au 9ème degré de Gaspard Pain, le patron de BTP qui soumissionne au marché de rénovation du bac à sable de la halte-garderie. » Bon allez, fin de cet édito à côté duquel la grande peur de l’an mil et les quatre cavaliers de l’Apocalypse font figure d’aimables plaisanteries. A la semaine prochaine, peut-être.

Jean-Marc Binot