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Covid-19 : souplesse et contorsions de la commande publique
"L'avenir n'est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n'as pas à le prévoir, mais à le permettre"
Antoine De Saint-Exupéry
Antoine De Saint-Exupéry
C’est bien ce qui taraude l’acheteur public : quel sera l’impact de la pandémie sur l’achat public, au-delà des mesures exceptionnelles mises en place (retrouvez notre dossier d'actualité "La commande publique à l’épreuve du Covid-19") ? L’objectif du dispositif "urgence commande publique" est double: d’une part, permettre l’achat en urgence des matériaux et produits de première nécessité, à tout le moins vitaux ; d’autre part, maintenir à flot les entreprises (relire "L'ordonnance Covid-19 est résolument tournée vers les intérêts des entreprises"). Jamais, sans doute, la mission de "levier au soutien de l’économie" de la commande publique n’est apparue aussi clairement.
De la décentralisation à la déconcentration
Deci delà, on commence à lister ces dysfonctionnements qui ralentissent l’accomplissement de ces missions. Sans surprise, on accuse l’excès de norme (relire "Les vendanges de la crise"). Une inflation fustigée depuis longtemps... bien avant la crise sanitaire.
Bien plus étonnant, certains expliquent qu'un facteur d'aggravation de la pénurie de masques médicaux résulte de la décentralisation (relire "Pénurie de masques chirurgicaux : la faute à la décentralisation ?"), et du transfert certaines compétences aux collectivités et autres établissements publics, au nom d'un "changement de doctrine" (relire "Stratégie d’achat public et crise sanitaire : de la grippe A/H1N1 au COVID-19").
Un ancien premier ministre distingue même, sur les ondes radio, entre "masques d'Etat" et "masques décentralisés" pour stigmatiser une impréparation des collectivités ! Mais peut-être a-t-on encore "oublié" d'assurer le volet financier de ce transfert de responsabilités... Est-ce alors pour prendre acte, voire sanctionner cette "impréparation locale" que l'on recentralise les pouvoirs "achat public" au profit des maires ? Des exécutifs locaux, certes, mais aussi les représentants de l’Etat (relire "Commande publique : les pleins pouvoirs au maire !" et " Covid 19 : Transfert de compétences des assemblées délibérantes vers les exécutifs locaux").
Bien plus étonnant, certains expliquent qu'un facteur d'aggravation de la pénurie de masques médicaux résulte de la décentralisation (relire "Pénurie de masques chirurgicaux : la faute à la décentralisation ?"), et du transfert certaines compétences aux collectivités et autres établissements publics, au nom d'un "changement de doctrine" (relire "Stratégie d’achat public et crise sanitaire : de la grippe A/H1N1 au COVID-19").
Un ancien premier ministre distingue même, sur les ondes radio, entre "masques d'Etat" et "masques décentralisés" pour stigmatiser une impréparation des collectivités ! Mais peut-être a-t-on encore "oublié" d'assurer le volet financier de ce transfert de responsabilités... Est-ce alors pour prendre acte, voire sanctionner cette "impréparation locale" que l'on recentralise les pouvoirs "achat public" au profit des maires ? Des exécutifs locaux, certes, mais aussi les représentants de l’Etat (relire "Commande publique : les pleins pouvoirs au maire !" et " Covid 19 : Transfert de compétences des assemblées délibérantes vers les exécutifs locaux").
Un outil : le principe de précaution
Autre "redécouverte", le principe de précaution. Un bel outil contentieux, qui comporte une part d'affichage politique. Au nom du principe de précaution, il est aisé de contester une politique publique.Même évalué et soupesé, un doute reste un doute...
En revanche, en tant qu’outil, rien ne préjuge de sa finalité. En Guadeloupe, le juge des référés s’en sert pour faire injonction à l’ARS et à l’acheteur hospitalier d’acheter ces médicaments dont beaucoup espèrent (lire "Covid-19 : le juge peut-il ordonner des achats ?"). A Marseille, le principe de précaution permet au juge des référés d'adopter la solution contraire (lire "Covid-19 : le juge des référés marseillais fait jouer, lui aussi, le principe de précaution"). Au final, il faut s’en remettre à l’arbitrage du Conseil d’Etat (lire "Obligation d’achat de médicaments « par précaution » : ce que dit le Conseil d’Etat"). L’outil "principe de précaution" devrait être remisé, au moins pour un certain temps.
En revanche, en tant qu’outil, rien ne préjuge de sa finalité. En Guadeloupe, le juge des référés s’en sert pour faire injonction à l’ARS et à l’acheteur hospitalier d’acheter ces médicaments dont beaucoup espèrent (lire "Covid-19 : le juge peut-il ordonner des achats ?"). A Marseille, le principe de précaution permet au juge des référés d'adopter la solution contraire (lire "Covid-19 : le juge des référés marseillais fait jouer, lui aussi, le principe de précaution"). Au final, il faut s’en remettre à l’arbitrage du Conseil d’Etat (lire "Obligation d’achat de médicaments « par précaution » : ce que dit le Conseil d’Etat"). L’outil "principe de précaution" devrait être remisé, au moins pour un certain temps.
De l'huile dans les rouages
Toutes les mesures d’urgence prises ont pour objectif d’instiller de la souplesse dans les rouages de l’achat public. Une souplesse dont la Commission européenne assure qu’elle existe déjà : « les acheteurs devraient exploiter pleinement la souplesse offerte par ce cadre ». Ainsi, l’extrême urgence peut aller jusqu’à l’achat réalisé en quelques heures. Et ce avec la procédure négociée sans publication : « Aucune étape de [cette] procédure n’est réglementée au niveau de l’Union ». Dans la pratique, selon la Commission, cela signifie que les autorités peuvent agir aussi rapidement qu’il est techniquement ou physiquement possible de le faire (lire "En période de crise, les marchés... "simples comme un coup de fil ?"). Encore que… la Commission sait encore poser des limites : «l’attribution directe à un opérateur économique présélectionné reste l’exception». Un discours un peu alambiqué, non ?
La rigidité du juge
Le mode "souplesse" n'est pas sans susciter une certaine appréhension. Sera-t-il pérennisé ? Et surtout, le juge saura-t-il s'en souvenir ? L’interrogation n’est pas théorique : il remonte souvent dans les commentaires ce cyclone, lui aussi d'une ampleur sans précédent, qui a ravagé l'île de Saint Martin. Certains élus, bien que suivant les injonctions de l'Etat, se sont retrouvés mis en examen pour avoir acheté " en mode urgence" des biens de première nécessité pour la population sinistrée.
Jérôme michon est ainsi cirsonspect : « Mon inquiétude n’est pas du côté des acheteurs (qui, pour une large majorité d’entre eux, n’avaient pas l’intention d’appliquer des pénalités ou autres sanctions aux entreprises dans un tel contexte). Elle est plutôt du côté des tribunaux, et surtout les juridictions judiciaires» (relire "L'ordonnance Covid-19 est résolument tournée vers les intérêts des entreprises"). Il espère que « les magistrats sauront, eux aussi, faire largement droit aux "circonstances exceptionnelles" ».
Jérôme michon est ainsi cirsonspect : « Mon inquiétude n’est pas du côté des acheteurs (qui, pour une large majorité d’entre eux, n’avaient pas l’intention d’appliquer des pénalités ou autres sanctions aux entreprises dans un tel contexte). Elle est plutôt du côté des tribunaux, et surtout les juridictions judiciaires» (relire "L'ordonnance Covid-19 est résolument tournée vers les intérêts des entreprises"). Il espère que « les magistrats sauront, eux aussi, faire largement droit aux "circonstances exceptionnelles" ».
« Local is beautiful »
Le grand vainqueur de la crise sanitaire pourrait bien être l’achat local. Une consécration sans doute liée à l’acharnement de ses partisans (relire "Préférence locale : les trucs et astuces du gouvernement"). Ses opposants le dénomment « localisme », pour en dénoncer le risque de favoritisme envers des entreprises locales. La pandémie aura, à rebours, montré les risques la doctrine à outrance de la libre concurrence, et par développement, de la mondialisation, sur l’approvisionnement. L’achat local, c’est sans doute l'un des principes pour lesquels la commande publique devra revoir "son cadre de référence" (lire "La commande publique devra changer de cadre de référence"). L'avocat Nicolas Charrel l’envisage : « le localisme ne sera peut-être plus perçu comme une mesure protectionniste en vue de favoriser des acteurs locaux ».
Dépasser le débat manichéen sur le respect de la libre concurrence pour reconnaître à l'achat sa valeur "stratégique" : quel remède prometteur !
Dépasser le débat manichéen sur le respect de la libre concurrence pour reconnaître à l'achat sa valeur "stratégique" : quel remède prometteur !
Jean-Marc Joannès
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