Vice d’une particulière gravité : un obstacle à la loyauté des relations contractuelles

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Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il lui incombe eu égard à l’exigence de loyauté contractuelle, de faire application du contrat. Pour le rapporteur public de la CAA de Paris, le vice tiré de l’incompétence du signataire du marché et l’impossibilité pour une ville d’y avoir donné son consentement revêt une particulière gravité et justifie d’écarter les stipulations contractuelles pour régler le litige.

Sous l’empire de la jurisprudence du conseil d’Etat Béziers I, le juge doit-il appliquer un contrat conclu par une autorité publique incompétente ? La cour administrative d’appel de Paris a été saisie de la question à l’occasion d’un litige opposant la société Locam Location Automobiles et Matériels à la ville de Paris. En l’espèce, l'entreprise avait conclu en janvier 2006, avec le proviseur du lycée municipal Gaston Bachelard, lycée municipal de la ville de Paris d’enseignement du second degré qui n’a ni la personnalité morale ni l’autonomie financière, un contrat de location de matériel de reprographie. Le contrat prévoyait le versement de vingt-quatre loyers payables trimestriellement à terme échu. Les loyers étaient acquittés par l'association pour la promotion des établissements technologiques de Paris (APETP). « Pour des raisons obscures, le lycée n’a plus utilisé le photocopieur à compter de septembre 2008. Les paiements ont également cessé. En février 2009, la société Locam a résilié le contrat et a demandé le paiement d’indemnités », explique Olivier Rousset, rapporteur public à la cour administrative d’appel (CAA) de Paris. La société a saisi le tribunal administratif d’une demande de condamnation de la ville de Paris sur le fondement de la responsabilité contractuelle et à titre subsidiaire sur le fondement de l’enrichissement sans cause. Le tribunal a rejeté sa demande. La juridiction estime que le contrat a été signé par le proviseur de cet établissement qui ne disposait, à cet effet, d’aucune délégation du maire de la ville de Paris. Ainsi, « l’incompétence du signataire de ce contrat est d’une gravité particulière et le contrat n’a pu être conclu qu’au prix d’un vice du consentement tenant à l’impossibilité de la personne publique de donner ce consentement et impliquant, dès lors, pour le juge d’écarter les stipulations contractuelles pour régler le litige. »

L’exigence de loyauté des relations contractuelles

L’affaire a été portée devant la CAA. « Même si ces écritures sont confuses, il semble que la société persiste à soutenir que la responsabilité de la ville de Paris peut être engagée sur le terrain contractuel », observe le rapporteur public. La société requérante reconnait que le proviseur n’avait pas pouvoir pour contracter mais comme la ville en a accepté l’exécution, cela signifie qu’elle en a eu connaissance. « La société semble ainsi vouloir remettre en cause le vice retenu pas le TA », ajoute Olivier Rousset. En décembre 2008, le Conseil d’Etat considère que « lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l' exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité […] à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel » (CE, 28 décembre 2009, Commune de Béziers). « Le principe novateur de l’arrêt est que la loyauté des relations contractuelles l’emporte sur les irrégularités. Seules les plus graves peuvent faire obstacles à l’application du contrat », indique le rapporteur public. En octobre 2014, la haute juridiction a jugé qu’eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, « l'absence d'autorisation préalable donnée par l'assemblée délibérante à la signature du contrat par le maire ne saurait, dans les circonstances de l'espèce, eu égard au consentement ainsi donné par le conseil municipal, être regardée comme un vice d'une gravité telle que le contrat doive être écarté et que le litige opposant les parties ne doive pas être réglé sur le terrain contractuel ». Le CE relève, pour justifier sa décision, que le contrat a été exécuté pendant plusieurs années par la commune sans qu’elle n’émette d’objections, et, que l’assemblée délibérante de cette commune a adopté, postérieurement à la conclusion du contrat, une délibération (CE, 8 octobre 2014 commune d'Entraigues-sur-la-Sorgue).

Un vice d’une particulière gravité

Olivier Rousset applique les principes dégagés par la jurisprudence du CE au cas d’espèce. « Le proviseur n’est pas compétent pour signer le contrat. Il ressort du décret du 31 janvier 1986 qu’il représente l'Etat au sein de l'établissement, préside le conseil d'établissement et les différentes instances de l'établissement. Il a en outre autorité sur l'ensemble des personnels affectés ou mis à disposition de l'établissement, et veille au bon déroulement des enseignements, de l'information, de l'orientation et du contrôle des connaissances des élèves et au bon fonctionnement de l’établissement », explique-t-il. En revanche, la gestion matérielle n’entre pas dans ses attributions. Il ne tient d’aucune disposition législative ou réglementaire compétence pour conclure un contrat au nom de la ville. De plus, il ne dispose légalement d’aucune délégation de signature du maire de Paris. « Contrairement à ce que soutient la société, la ville de Paris n’a jamais eu connaissance du contrat avant d’être mise en cause en 2014 devant le tribunal administratif. Le proviseur n’a pas demandé l’accord d’une autorité de tutelle. Enfin, les mensualités ont été réglées par l’APETP et non pas la commune », ajoute le rapporteur public. Il estime donc que le consentement de la ville a été vicié. Dès lors sa responsabilité contractuelle ne peut pas être recherchée. Il invite la cour à rejeter la requête de la société Locam Location Automobiles et Matériels. La décision sera connue fin avril.