
[Tribune] "COVID-19 : les entreprises ne demandent pas que les prix du marché deviennent provisoires !"
Philippe Mazet, délégué général des entreprises générales de France du BTP (EGF.BTP) répond à la publication dans les colonnes d'achatpublic.info d'une interview intitulée « Crise des chantiers : refuser de rendre provisoires les prix du marché » . Lequel appelle selon lui "quelques précisions et compléments".

L’auteur rappelle en premier lieu une double évidence :
- les marchés publics sont passés à prix fermes et définitifs, sauf hypothèses strictement encadrées ne correspondant nullement aux marchés classiques de BTP dont il est question dans cet article ;
- la « transformation » en cours d’exécution d’un marché à prix fermes en marché à prix provisoires est donc tout simplement impossible.
La demande des entreprises d’adaptation des prix porte uniquement sur la prise en compte des surcoûts directs et indirects liés à la crise sanitaire. Et, dans ce cadre restreint, la question se pose bel et bien et parfaitement légalement !
On voit donc mal dans quel cadre cette question peut se poser et, à ma connaissance, aucune entreprise du BTP n’a formulé une telle demande ! Cette approche repose manifestement sur une confusion. Les entreprises ne demandent pas, par voie d’avenant, que « les prix du marché » deviennent provisoires. Leur demande d’adaptation des prix porte uniquement sur la prise en compte des surcoûts directs et indirects liés à la crise sanitaire. Et, dans ce cadre restreint, la question se pose bel et bien et parfaitement légalement!
En effet, dans la situation actuelle, ni l’évolution, ni les effets réels de la crise sanitaire dans le temps ne peuvent être anticipés avec précision par les donneurs d’ordre et les entreprises pour l’exécution des marchés en cours ou des futurs marchés. Il apparaît donc absolument nécessaire, dans l’intérêt de toutes les parties au contrat, de déterminer un dispositif contractuel qui permette de gérer cette incertitude majeure. Ainsi, une réponse financière et juridique à cette situation totalement inédite peut être apportée aux différentes étapes d’un marché public.
La poursuite des marchés en cours d’exécution
Il s’agit de la question spécifiquement traitée dans l’article évoqué. Rappelons tout d’abord que tous les observateurs admettent la nécessité qu’une juste répartition des coûts supplémentaires liés à cette crise soit trouvée.Tous les observateurs admettent la nécessité qu’une juste répartition des coûts supplémentaires liés à cette crise soit trouvée
Le Premier Ministre, dans sa circulaire publiée le 11 juin dernier, a confirmé clairement cet objectif : « Pour assurer la menée à bonne fin des chantiers, dans des conditions sanitaires et économiques optimales, et parer au risque de défaillance de certains contractants, il convient désormais de clarifier les dispositions à adopter en matière de prise en charge, par la maîtrise d'ouvrage, d'une partie des surcoûts directement induits par cet événement exceptionnel vis-à-vis de l'interruption des chantiers et de l'impact de la prise en compte des préconisations du guide OPPBTP et des nouvelles organisations de travail sur le déroulement du chantier. »
Ce principe étant posé, il faut trouver le moyen juridique de le mettre en œuvre. La procédure la plus fréquemment choisie sera de procéder par voie d’avenant. Deux cas de figure devront alors être précisément distingué :
Prise en compte des coûts liés à l’arrêt des chantiers
Prise en compte des surcoûts liés à la reprise de l’activité des chantiers
Il faut alors distinguer les surcoûts directs consistant en un certain nombre de dépenses supplémentaires tenant à la mise en œuvre des préconisations sanitaires des surcoûts indirects tels que les éventuelles pertes de productivité. La difficulté de fixer aujourd’hui de façon ferme et définitive les surcoûts indirects apparaît évidente. Par ailleurs, une difficulté du même ordre va apparaître pour fixer la période d’application de l’ensemble de ces surcoûts : personne n’étant en mesure d’apprécier la durée de mise en œuvre de ces mesures destinées par définition à évoluer, comme l’a rappelé récemment l’OPPBTP.Une clause de revoyure à date fixe ou à la demande d’une des parties en cause, permet à intervalles réguliers, de faire le point sur la pertinence des surcoûts envisagés
Dans ces conditions, il semble en effet de bonne gestion, et ce dans l’intérêt de l’ensemble des parties au contrat, de prévoir pour la partie des avenants réglant cette deuxième catégorie de surcoûts, une clause de revoyure à date fixe ou à la demande d’une des parties en cause. Ainsi, les parties pourront, à intervalles réguliers, faire le point sur la pertinence des surcoûts envisagés. Dans ce cadre-là, effectivement, les prix fixés dans ce type d’avenant - et uniquement ces prix ! - pourront être amenés à évoluer en fonction des obligations faites aux parties en matière sanitaire.
Il s’agit donc bien d’une fixation provisoire de ces surcoûts. Notons qu’aucune des parties au contrat ne prend un risque quelconque puisqu’une clause de revoyure n’oblige personne. Mais cette « flexibilité » de certains prix dans les marchés publics peut et doit être recherchée au-delà du cadre de l’exécution du marché.
Les marchés à venir
A ce titre les articles L.2194-1 et R. 2194-1 du Code de la commande publique permettent aux acheteurs de prévoir dans les CCAP une clause de revoyure appelée clause de réexamen : « Le marché peut être modifié lorsque les modifications, quel que soit leur montant, ont été prévues dans les documents contractuels initiaux sous la forme de clauses de réexamen, dont des clauses de variation du prix ou d'options claires, précises et sans équivoque. Ces clauses indiquent le champ d'application et la nature des modifications ou options envisageables ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage. »
Le recours à ce type de clauses de réexamen paraît donc constituer un outil susceptible de répondre à la situation actuelle. Ainsi, est intégré, dans le respect de l’équilibre des intérêts des parties, un mécanisme d’adaptation visant à anticiper les modalités de prise en compte des incidences sur les délais et les coûts d’un risque qui, sans être imprévisible au sens strict, apparaît aujourd’hui trop aléatoire pour être porté par une seule partie sans mettre potentiellement en péril l’exécution même du contrat.Le recours à ce type de clauses de réexamen paraît donc constituer un outil susceptible de répondre à la situation actuelle
Les conséquences de la situation actuelle étant diverses, les maîtres d’ouvrage devront s’efforcer de cerner au mieux les modalités, et éventuellement en négocier le contenu, avec les candidats.
Ces clauses doivent être rédigées de façon claire et précise. Le maître d’ouvrage doit prévoir dans les documents contractuels le champ d’application et la nature des modifications envisagées ainsi que les modalités de leur mise en œuvre. En effet, ces précisions constituent des éléments susceptibles d’avoir une incidence sur les offres des candidats et, par conséquent, sur les conditions de mise en concurrence.
Il faut remarquer qu’une grande liberté est laissée à l’acheteur dans le choix des modalités concrètes d’application de cette clause. Deux hypothèses peuvent être distinguées :
- La clause de réexamen est rédigée de telle manière que la survenance d’un événement précis entraîne automatiquement une modification dont la teneur a été prévue dans le contrat initial ;
- La clause de réexamen est rédigée de telle manière qu’elle s’apparente à une simple clause de revoyure. Dans ce cas, il est seulement prévu que la survenance d’un événement précis conduira les parties à renégocier certains termes du contrat.
Ici, le maître d’ouvrage doit prévoir dans les documents contractuels les modalités de mise en œuvre de cette négociation. Si les parties s’accordent sur la modification du contrat, il sera nécessaire de matérialiser cet accord dans un avenant. Cette solution est particulièrement adaptée lorsque la teneur des modifications ne peut être initialement et précisément prévue et, il semble bien, que cette hypothèse sera la plus fréquemment rencontrée dans la prise en compte des conséquences de la crise sanitaire actuelle.
A titre d’exemple, une clause de réexamen spécifique au sujet du COVID-19 pourrait prendre la forme suivante :
Les marchés en phase de remise des offres
Il est évident que, dans un contexte aussi évolutif, les entreprises candidates auront beaucoup de difficulté, dans la plupart des cas, à anticiper toutes les contraintes au stade de l’offre, du moins avec la marge d’erreur habituellement acceptable. Or, tous les maîtres d’ouvrage publics n’accepteront pas d’introduire une clause de réexamen du marché pour traiter l’aléa COVID par anticipation, dans le respect de l’équilibre du contrat.L’entreprise candidate aura tout intérêt à préciser très explicitement dans son offre quels surcoûts ont été intégrés dans le prix, de façon à ce que le maître d’ouvrage puisse opérer une mise en concurrence la plus documentée possible
Dans ce cadre, les entreprises peuvent se trouver dans la situation de devoir choisir entre risquer de perdre le marché (en intégrant dans leur prix l’intégralité des conséquences supposées sur la totalité de la durée prévue du chantier des surcoûts liés aux contraintes actuelles) ou bien, accepter un niveau de risque nettement supérieur à un risque industriel normal. Il faut remarquer qu’aucune des ordonnances promulguées ne traitent de cette question.
Dans ces conditions, l’entreprise candidate aura tout intérêt à préciser très explicitement dans son offre quels surcoûts ont été intégrés dans le prix de façon à ce que le maître d’ouvrage puisse opérer une mise en concurrence la plus documentée possible. Ce dernier pourra, par exemple, être amené à questionner les entreprises candidates sur les modalités de prise en compte dans leurs offres de ces surcoûts, ce qui facilitera grandement une analyse de qualité des offres.
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