Code de la commande publique : et si on revenait sur les fondamentaux ?

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« [Décision absurde] : processus par lequel un individu ou un groupe agit de façon persistante et radicale contre le but qu’il cherche à atteindre » Christian Morel (sociologue français)


Repenser la commande publique « pour faciliter la vie des entrepreneurs », telle était la doctrine du Ministère de l’économie jusqu’à la dissolution de l’Assemblée nationale au mois de juin (relire "Commande publique : « simplifier des règles qui sont dignes de Balzac »"). Un cap qui interroge (relire "L’accès à la commande publique, cela devrait se conjuguer au pluriel !").
A l’heure où la France cherche un Premier ministre (relire : La solution ? Un acheteur public à Matignon !), la rédaction souhaiterait revenir sur les fondamentaux autour du cadre juridique de l’achat public… et peut-être de rappeler modestement au futur gouvernement le "pourquoi du comment" d’un code de la commande publique.
 

La commande publique : un instrument des politiques publiques ?


Il est vrai qu’avec ces 160 milliards d'euros pour l’année 2022, et ces 151 milliards en 2021 (relire "L'OECP publie les chiffres 2022 de la commande publique"), il est tentant d’utiliser la commande publique pour des fins autres que l’achat. Les autorités publiques ne s’en cachent pas d'ailleurs. La commande publique, c’est aussi un instrument au soutien des politiques publiques, déclarait il y a peu Laure Bédier, l’ex-directrice des affaires juridiques (DAJ) de Bercy (relire "Pas de souveraineté économique sans une commande publique écologiquement et socialement responsable").
Parmi ces politiques, on retrouve en tête l’objectif de faciliter l'accès des PME à la commande publique. Pour y parvenir, l’achat durable est le principal levier actionné. Dernièrement, une étude commandée par la Direction des achats de l’État (DAE) révèle que la présence de clauses environnementales semble être favorable à l’attribution d’un marché à une PME (relire "L’achat public durable : un atout pour les PME ?"). 

A l’échelle européenne, l’attribution des marchés à un opérateur de l’UE devient un enjeu majeur. Avec l’adoption fin juin du règlement européen "pour une industrie zéro émission net" (NZIA), les acheteurs publics peuvent être contraints d’exiger, dans le cadre de marchés publics stratégiques, que les candidats ne doivent pas s’approvisionner dans des Etats tiers à plus de 50% (relire "Publication du règlement NZIA : préférence européenne assumée dans la commande publique").
 

Un excès de norme dans la commande publique ? 


Paradoxalement, d’une part, l’excès de normes est dénoncé, tout comme ses conséquences sur la croissance : un coût estimé à « 3 % du PIB » (relire "Commande publique : « simplifier des règles qui sont dignes de Balzac »"). D’autre part, les entreprises rencontrent toujours des difficultés pour accéder à la commande publique, disent-elles (relire"Difficultés d’accès à la commande publique : de quoi parle-t-on ?").
Pourtant, l’existence d’un cadre juridique de l’achat public n’est pas une nouveauté. Le premier code date de 1963. Et l’obligation de faire une mise en concurrence remonte aux Ordonnances royales du 4 décembre 1836 et du 14 novembre 1837. Le but de cette règlementation est de réduire les risques de corruption. Il ne faut pas oublier que ces achats se font avec des deniers publics...

Au niveau européen, les premières directives « Marchés » voient le jour dans les années 1970, avec la Directive 71/305/CEE du Conseil du 26 juillet 1971 relative aux marchés de travaux, et la Directive n°77-62 du 21 décembre 1976 portant sur les marchés de fournitures (relire "Dix ans de Directives "marchés publics" : un anniversaire « sous tension »").
Ici l’objectif poursuivi est plus large : il vise à protéger le jeu de la concurrence des interventions intempestives des acteurs publics dans la sphère marchande. L’Administration n’étant pas vouée à disparaître par des choix économiques peu rationnels (à la différence des entreprises), seul le droit peut la forcer à agir dans ce sens. Ce qui peut conduire à quelques lourdeurs administratives. 
 

La commande publique : davantage compliquée au XXIème siècle ?


Alors pourquoi l’achat public semble plus compliqué au XXIème siècle ?
Tout d’abord, le champ des contrats et des organismes entrant dans le giron des marchés publics ne cessent de s’élargir (relire "Une association de nouveau épinglée pour manquement au Code de la commande publique" - "Un marché public irrégulier annulé… à la demande de l’acheteur public"). Les personnes publiques sont donc tenues de plus en plus à objectiver, par le biais de critères de jugement des offres, l’attribution de leurs contrats. Même dans le cadre d’achats de faible montant, dès lors qu’elles sollicitent des devis (relire "[Tribune] Jérôme André : « "Règle" des trois devis ? Voici pour les "purs et durs du droit" ! »").

Ensuite, la judiciarisation constante de la commande publique, depuis la fin des années 1980, pousse les collectivités publiques à sécuriser, parfois à l’excès, leurs procédures, afin de se protéger :

Egalement, la multiplication des exigences autour du développement durable, bien que nécessaires, complique l’action de l’acheteur public. Tout comme la lutte contre les offres anormalement basses (relire "Traitement des OAB : les explications de la DAJ") et les conflits d’intérêts notamment au regard des liens de l’AMO (relire"AMO et conflit d’intérêts : une interprétation extensive en marché public !").

Par ailleurs, la désindustrialisation et les délocalisations massives dans des contrées lointaines contraignent aussi les services achats à s’intéresser davantage à la chaine d’approvisionnement, afin d’évaluer le risque d’une rupture de la "supply chain"... et de s'assurer que la production se fasse dans des conditions décentes aussi bien sur le volet social qu’environnemental (relire "Challenger les fournisseurs sur leurs émissions de CO2 : le prochain défi de l’acheteur").

Enfin, la crise des finances publiques, qui ne cesse de s’aggraver, oblige les personnes publiques à devoir "performer" économiquement (relire "Performance globale dans l’achat : une approche en 3D").
 

Le CCP : efficace ?


Le cadre juridique est-il pour autant efficace ? Les économistes, interviewés par la rédaction au fil de nos articles, ne remettent jamais en cause le code de la commande publique. Ses dispositions s’avéreraient plutôt cohérentes selon eux. Le problème serait plutôt dans l’interprétation et l’application de la règle. Et notamment sur l’utilisation des critères d’attribution (relire "Crédibilité de l’offre : un critère d’évaluation redécouvert "– "Pas de notation du critère prix sans une vision économique des marchés publics !").
Les chambres régionales des comptes ne cessent de répéter que le simple respect du code n’est pas suffisant pour faire un achat efficace et efficient (relire "[Interview] Performance achat : respecter le code de la commande publique n'est pas suffisant)". Il faut ainsi poursuivre la professionnalisation de l'acheteur public, et surtout lui donner les moyens d'agir face à la multiplicité de ses missions (relire "La « performance des achats publics » : un cursus de formation plein d’avenir").

Mais le juge du référé précontractuel ne peut aller quant à lui sur un autre terrain que le droit. Que cela soit une bonne ou une mauvaise nouvelle, ce magistrat ne peut se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres, rappelle récemment le Conseil d’Etat (relire "Juger la dénaturation d’une offre à l’aune de sa valeur : une tentation à laquelle ne pas céder en référé !").

Or, comme l'expliquait le sociologue français Christian Morel, dans son ouvrage Les décisions absurdes : « Concentrer exclusivement son attention et son énergie sur la qualité d’un processus, indépendamment de son résultat et donc de son objectif, peut conduire à des dérapages, par exemple à une solution qui coûte plus qu’elle ne rapporte ».