[Interview] Lucie Becdelièvre : « Au-delà de l’outillage juridique, les clauses sociales ont une dimension stratégique»

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« Nous avons un document de référence en matière de clause sociale, se réjouit Lucie Becdelièvre, déléguée générale d’Alliance Villes Emploi. Un document co-construit, agile et évolutif ». Ce document, c’est un recueil de 26 fiches regroupées en 5 thématiques, qui veut « renforcer la dynamique positive des clauses sociales » et qu’achatpublic.info diffuse désormais en accès libre. « A la communauté des acheteurs de s’en emparer ! »


Pour Lucie Becdelièvre, déléguée générale d’Alliance Villes Emploi, ce recueil de fiches consacrées à la mise en œuvre des clauses sociales est une évolution importante : « certes, nous restons orientés vers les facilitateurs de clauses sociales ; mais l’idée, aujourd’hui, c’est de s’adresser à l’ensemble des acteurs de la clause. Il s’agit de nourrir autant les acheteurs que les facilitateurs. Cette édition, c’est une ressource commune pour que tous puissent travailler ensemble ! »

 

Pourquoi AVE se lance dans ce recueil de fiches dédiées à la clause sociale dans les marchés publics ?

Lucie Becdelièvre – La précédente version date de 2016. Le contexte et les pratiques ont évolués ; le recours aux clauses a bondi depuis : une mise à jour s’imposait.
Les 26 fiches couvrent désormais un champ beaucoup plus vaste, avec de nombreux nouveaux sujets et exemples de bonnes pratiques et autres innovations.

Ce recueil s’adresse autant au "débutant" qui veut connaître les bases de la clause sociale qu’à l’utilisateur expérimenté qui veut élargir sa pratique

Elles sont organisées par thématiques. Certaines sont des documents "socles" ; d’autres présentent des bonnes pratiques. Et nous avons enrichi nos annexes de dizaines d’exemples inspirants.
Ce recueil s’adresse autant au "débutant" qui veut connaître les bases de la clause sociale qu’à l’utilisateur expérimenté qui veut élargir sa pratique.

 

Par qui et comment les fiches ont-elles été rédigées ?

Lucie Becdelièvre – La première étape, c’était un travail interne au réseau des facilitateurs de clause sociale ; la seconde a consisté à partager ce travail avec l’ensemble de l’écosystème, pour en faire un outil collectif. Le recueil a bénéficié d’un travail de relecture et d’amendements des ministères concernés, de la DAE, de l’Anru, de l’IAE et des associations Handicap, et bien sûr les branches professionnelles. Le Syntec s’est montré particulièrement actif !

 

Où en est le dispositif de clause sociale en France ?

Lucie Becdelièvre – Les derniers chiffres dont nous disposons ne sont pas encore tout à fait consolidés. Nous serions sur 30 millions d’heures de clause. Selon la DAE, qui actualise ses données, le nombre de marchés de l’Etat clausés serait en forte hausse aussi.

Aujourd’hui, le sujet n’est plus d’atteindre en volume, un nombre d’heures à atteindre, mais plutôt qualitatif, de parcours de formation et de diversification des segments d’achat

Pour vous donner une idée : on a d’abord mis d’abord 10 ans pour faire 100 millions d’heures ; puis 3 ans pour en faire autant. Et cela s’accélère encore ! Nous sommes bien dans une dynamique positive en volume… et en diversification.
Je m’explique : aujourd’hui, le sujet n’est plus d’atteindre en volume, un nombre d’heures à atteindre, mais plutôt qualitatif, de parcours de formation et de diversification des segments d’achat. Depuis 2023, pour la première fois, tous les codes NAF ont eu leurs heures de clauses : tous les métiers sont concernés ! Dès lors qu’on a une part de main d’œuvre, on peut prévoir une clause.

 

Le dispositif juridique vous parait désormais suffisant, clair et sécurisé ?

Lucie Becdelièvre – Oui, et il est inscrit de fait dans la loi comme une obligation. D’une pratique innovante,il y a trente ans dans une zone grise juridique, on est passé à à une démarche cadrée juridiquement, mais relevant encore d’une démarche volontariste. Désormais, c’est obligatoire.
L’enjeu, c’est donc la diversification des segments d’achat. Si pour le bâtiment et son éco système c’est intégré par tous les acteurs, sur d’autres secteurs d’activité, il faut encore acculturer acheteurs et entreprises.

 

Le nombre de facilitateurs de clause sociale évolue-t-il ?

Lucie Becdelièvre – + 40 % de facilitateurs en 4 ans ! C’est pour partie le résultat d’appels à projets cofinancés par l’Etat. Nous disposons d’environ 600 facilitateurs de clause en France et, désormais, d’un bon maillage territorial. Les acheteurs publics savent de plus en plus les solliciter. Ils savent où les trouver et peuvent s’appuyer sur des coordinateurs régionaux.
J’observe également de moins en moins de réticences à faire appel à eux… Il y a une reconnaissance de compétence, fortement portée par nos partenaires, comme la DAE, qui considère qu’un acheteur ne peut prévoir une clause sociale sans faire appel à un facilitateur. Une mesure qui permet d’éviter le "social washing", et de prévoir de véritables clauses sociales, y compris dans leur suivi. Car le facilitateur est également de garant de l’exécution d’une clause sociale.

 

Quels conseils donneriez-vous à un acheteur public qui hésite encore à recourir au dispositif de clause sociale ?

Lucie Becdelièvre – Faire appel à un facilitateur ! Il aide l’acheteur à écrire une clause qui juridiquement tient la route, avec l’idée fondamentale de réfléchir en amont sur la politique Achat souhaitée : sur quel marché je souhaite agir ? Avec quels objectifs ? En allotissant,et en utilisant un marché réservé.
Car le facilitateur connait le dispositif juridique, mais aussi l’écosystème économique, les enjeux locaux et le monde de l’insertion. Il y a là une dimension stratégique, au-delà de l’outillage juridique.

 

Quel lien entre clause sociale et achat local ?

Lucie Becdelièvre – L’objet d’une clause sociale, ce n’est pas de mettre un chiffre dans un tableur ! C’est d’établir un parcours qui ait un sens pour une personne éloignée de l’emploi. Il faut savoir que 80 % des heures de clause sont réalisées par des TPE/PME. Même dans des marchés à échelle nationale, et à part quelques marchés très particuliers de type "conseil" ou informatique, l’atterrissage clause sociale est toujours local.

 

Le recours à une clause sociale dépend-il toujours d’une impulsion politique ?

Lucie Becdelièvre – Il faudra toujours un alignement entre l’impulsion politique et les services Achat. Mais avec la loi "Climat et résilience", de toute façon, l’impulsion politique est là... non ?

 

Vers quoi pourraient tendre les clauses sociales à l’avenir ?

Lucie Becdelièvre – A périmètre juridique inchangé, nous devons œuvrer à la diversification des segments d’achat. Nous travaillons aussi sur les plans de progrès, un outil intéressant.
Au titre des considérations sociales, nous devons mener le chantier de l’égalité femme/homme, mais aussi la clause d’illettrisme, qui fait l’objet d’une expérimentation avec l’agence nationale de lutte contre l’illettrisme. L’enjeu, c’est de développer un outil de diagnostic de l’illettrisme, à disposition des chefs d’entreprise. Avec cette clause, ils seraient obligés de faire un auto diagnostic, dans une logique d’acculturation. On peut travailler sur le travail en journée, le tutorat…

C’est une autre façon d’avancer, au-delà de la mise en œuvre d’une clause d’exécution…

 

A télécharger : 

Achat socialement responsable : Recueil des fondamentaux des facilitateurs 2024 –
A1 - Les publics éligibles aux clauses sociales d'insertion
A2 - La durée d’éligibilité des publics et la comptabilisation des heures d’insertion
A3 - La clause une étape de parcours


Recueil des fondamentaux des facilitateurs 2024 - A paraitre : 

Thème B : La réalisation de la clause sociale dinsertion
Thème C : La préparation du contrat public
Thème D : La mobilisation des partenaires
Thème E : L'inscription du dispositif dans les politiques publiques

 

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